Quand je regarde mes mains , je les croyais si fortes et soudain elles m’apparaissent si faibles et inutiles.

J’ai eu tellement de mal à les apprivoiser dans mon enfance : le couteau qui dérape et qui entaille la main ou le doigt, la casserole ou la cafetière trop chaude qui s’échappe en brûlant tout ce qui se trouve sur son passage, les ratures et les pâtés d’encre dans le cahier de devoirs parce qu’elles refusent d’obéir et cette écriture si difficile à maitriser … pourtant elles ont séché les larmes du petit orphelin.

Plus tard adolescent avec l’apprentissage au maniement des outils, ce sont les gerçures du gel en hiver dans les ateliers non chauffés, les brûlures causées par les pièces que l’on vient de forger ou de souder, les coupures parfois profondes qu’il faut faire suturer, les ongles noirs des doigts écrasés sous le marteau ou encore les yeux qui brûlent pendant des heures à en devenir fou suite à un coup d’arc électrique et, avec l’ apprentissage de la musique, ce sont les doigts qui se tordent sur les cordes de la guitare, sur les boutons de l’accordéon ou sur le chalumeau de la cornemuse.

Elles en ont vu mes mains, je ne les ai jamais ménagées, elles ont parfois dû frapper pour se défendre, taper des poings sur la table pour se faire entendre mais elles ont surtout su aimer, caresser, cajoler, enfanter, soigner, rassurer, protéger et elles ont aussi fait danser.

Elles ont également construit : des murs, des meubles, des planchers, des cabanes, des machines, des outils, des barrières, des garde-corps, des sculptures et bien d’autres choses auxquelles je ne pense pas à l’instant.

 

Elles ont encore réparé : des vélos, des motos, des voitures, des moteurs, des machines et parfois même des âmes blessées. De même elles ont formé : mes enfants à la vie, des apprentis à un métier, des ouvriers à la maîtrise, des musiciens et des danseurs à la joie de vivre.

 

Quand le premier « grand-cerf » est arrivé, elles ne se sont pas démontées ! Après quelques semaines, courageusement elles ont repris le métier puis, un jour, elles se sont mises à trembler, à de nouveau ne plus m’obéir… cette fois, c’est la thyroïde qui déconne ! Est-ce un nouveau « grand-cerf » qui démarre ?

Je n’ai toujours pas la réponse, quelques jours après l’ablation mes mains reprennent la vie à pleines dents et elles se remettent à chanter, à construire, à inventer… elles sont heureuses mes mains !

 

Les mois passent et, un soir, mes mains voient double : examen des yeux, c’est un pseudo-fibrome oculaire, peut-être un autre « grand-cerf » ? C’est là dans mes gènes, je le sens mais, vaillantes, elles n’ont pas peur, mes mains, elles ont toujours traversé courageusement les obstacles.

 

Mes mains se retrouvent en oncologie deux fois par semaine pendant 3 mois pour recevoir des bolus de cortisone, elles y rencontrent Dary, un ami plus jeune de 10 ans, traité pour un « grand-cerf » des testicules, il décèdera avant la fin de son traitement. Mes mains en prennent un coup … elles commencent à douter.

 

La pandémie arrive, mon compagnon de musique s’en va en une semaine, mes mains pleurent à ses funérailles … alors mes mains ne chanteront plus !

 

Mais voici un autre « grand-cerf » qui se profile à l’horizon, on ne le voit pas, on ne le sent pas, il est là … en train de s’installer bien au chaud sur une petite glande de la taille d’une mirabelle , c’est une banale prise de sang qui révèlera qu’il y a un problème - le fameux taux de P.S.A. - :biopsie, scintigraphie osseuse, scanner, IRM et tutti quanti.

 

Mes mains vont se laisser guider par des professionnels de la santé et là les ennuis commencent : implantation de grains d’or, inflammation aigüe, hospitalisation d’urgence pour intoxication médicamenteuse, début de l’ hormonothérapie (18 mois) et de la radiothérapie (20 séances),« dure-dure » la préparation qui précède chaque rendez-vous !

Un jour, sur la route de la radiothérapie, apparait une tache sombre au milieu de l’oeil droit : ré-hospitalisation d’urgence (suspicion de la maladie de Horton) et une nouvelle batterie d’examens peu agréables : échographie du coeur par l’estomac « sans anesthésie pour cause de radiothérapie dans une heure » et découverte d’une anémie aplasique : ponction de moëlle osseuse, test à l’effort dans une position insupportable « couché à 45° » et coronarographie.

 

Les bras m’en tombent, mes mains sont devenues lourdes, elles n’ont plus de ressort, elles se durcissent, elles font mal à chaque mouvement : pour la première fois de leur vie elles doutent de ce qu’elles peuvent encore faire, toutefois elles gardent espoir avec l’aide de l’amour de ma vie, mon ange gardien qui me soutient et me supporte depuis bientôt 40 ans.

 

Et puis, un jour au mois de mars, mes mains relèvent la boîte à lettre, elles-y découvrent une enveloppe avec une invitation pour le 27 mars 2024 à une conférence sur le cancer organisée par le service oncologie du C.H.R. de Verviers.

J’apprends alors qu’il existe une A.S.B.L. qui propose des soins de bien-être aux personnes qui ont dû affronter un cancer.

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Le nom est sympa : VIVIE

C’est vraiment ce dont on a besoin

De la Vie avec un grand V

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J’apprends aussi que je peux également m’inscrire dans un programme de revalidation physique au C.R.F..  Après la conférence, pendant le verre de l’ amitié, j’ai la chance de parler avec le docteur Sacré, je lui explique mon parcours et nous nous rendons compte que, à cause des complications au cours du traitement, je suis passé à côté des informations. Elle me propose de prendre contact avec le C.R.F. afin que je puisse entrer dans le programme et , le lendemain, l’infirmière du Centre me fixe mon premier rendez-vous.

 

Pour VIVIE, j’hésite, je me tâte, est-ce que ça en vaut la peine, je fais déjà l’effort de pédaler sur mon vélo d’appartement et je me suis remis un peu à l’ouvrage mais mes mains ont mal, tout mon corps me fait mal, je suis découragé, je n’en peux plus.

Le fait de me retrouver probablement dans un milieu principalement féminin ne me dérange pas mais c’est encore du temps à consacrer et il y a tellement de choses en retard…

Et puis zut à la fin j’ai le droit de prendre soin de moi, j’ écris un courriel expliquant mon état physique et mental. Peu de temps après, une dame bienveillante « Régine » me téléphone et m’invite pour une première séance de réflexologie plantaire. Mon dieu quel bonheur ! Laetitia a des doigts de fée et quand je me rends à ma voiture mes jambes sont légères.

Je suis conquis, je reviendrai pour d’autres soins : massage holistique avec Pascale, soins et massage du visage avec Maud, olfactotherapie avec Muriel et maintenant atelier équilibrage corporel et automassage dans un super groupe avec Valérie. Je ne sais pas ce que tout cela va donner mais je remercie toutes ces personnes pour leur engagement et le soutien qu’elles nous apportent.

 

Vous êtes magnifiques

Merci, Merci, Merci

 

Comme chantait mon ami Jacques Lefebvre.

«… Voici venu le temps de la tendresse de se comprendre à demis mots tu connais bien mes peurs et mes faiblesses tu le sais bien je ne suis pas héros mais tout ce temps à préparer l’automne un bel automne au gris de nos cheveux un regard clair entre la femme et l’ homme qui malgré tout ont tenté d’être heureux…Voici venu le temps de la tendresse…. »

Quand je regarde mes mains , je les croyais si fortes et soudain….
 

Merci à ma compagne Berna qui corrige mes grosses fautes.
 

Lucyin - juin 2024